Parlons sérieusement pendant 5 minutes si vous le voulez bien.
Avec l’explosion de l’univers numérique des vocations s’éveillent un peu partout parceque les gens ont enfin les moyens d’exprimer leur créativité à peu de frais. Caméra de qualité et peu chères, logiciels facilement téléchargeables illégalement sur le net. Ne nous enfouissons pas la tête dans le sable, un taux proche de 100% des films amateurs que l’on peut trouver sur le net ont été post-produits sur des logiciels piratés. Faut être réaliste un peu en fait. Des programmes tels que After Effects coûtent tout de même environ 1300 euros, combien de gamin de 15 ans a 1300 euros à investir dans un logiciel de compositing/animation surtout s’ils ont déjà dû économiser à peu près la même somme pour pouvoir se payer une caméra décente ? Mais là n’est pas la question.
Combien de collectifs de réalisateurs de courts métrages amateur voit-on fleurir sur le net ? Chacun rêve de gloire, de Hollywood, d’effets spéciaux, de grands films avec plein de moyens, au risque de tomber de haut et/ou de boucher un peu le secteur qui paradoxalement, via ces mêmes moyens numériques de téléchargement est un peu mit en péril. Je ne désire pas lancer un débat sur les dangers du téléchargement car pour l’instant, les faits ne sont pas réellement prouvés, mais j’ai peur qu’on arrive à un moment où ce sera trop tard. Bref, Dailymotion, YouTube sont des pépinières formidables de talents qui produisent des films à fonds perdus, juste pour le fun, en espérant de se faire remarquer, de se constituer un portfolio suffisamment conséquent pour pouvoir démarcher ensuite chez les producteurs qui ont l’argent pour leur permettre de passer à un niveau supérieur. Souvent ce sont des gens très jeunes, pas nécessairement diplômés, mais formés à l’image, presque comme un sixième sens, parcequ’ils baignent dedans depuis leur plus jeune âge alors que leurs parents devaient juste se contenter des quelques chaînes hertziennes sur un vieux poste moche et sans télécommande (on va dire qu’ils avaient la couleur par contre). A présent, si tu veux bouffer de l’image, tout est à quelque clics de souris, sur la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, les enregistreurs numériques, le téléchargement de divx, voire de DVD complets avec bonus et tout le tintouin. Tout est fait pour être attiré vers ce monde créatif en diable mais industrialisé dans son mode de production. Seulement de l’autre côté, il y a une autre réalité, d’autres attentes, d’autres coutumes, d’autres habitudes et surtout d’autres dangers qui viennent précisément de cet univers créatif. Car on veut consommer de plus en plus d’image, on a de plus en plus soif, mais on ne veut pas payer pour les voir alors que précisément ces images coûtent cher à produire.
En clair vous avez d’un côté de plus en plus gens qualifiés, motivés, talentueux qui rêvent de devenir réalisateur et de l’autre vous avez un marché du travail dont les fonds propres se réduisent jour après jour, un peu par conservatisme, un peu par aberrations libérales, un peu par danger réel et un peu par fragmentation de l’univers audiovisuel.
Vous avez une armée de réalisateurs (pour les musiciens j’imagine que ça marche un peu pareil, en pire probablement) prête à en découdre et obligée de se battre avec des pistolets à bouchon parceque les fabricants d’arme ont peur de la guerre (en gros hein ?) et craignent que lorsque tout le monde sera mort, y’aura plus personne pour acheter leurs produits. Et aussi parcequ’ils n’ont tout simplement pas les moyens de produire plus même s’ils ont pas mal accru leur cadence ces dernières années.
En conséquence, même si le numeris closa est plus important, le nombre d’appelés laissés agonisants sur le bord de la route ne fera qu’augmenter. Des destins un peu brisés, des rêves abandonnés, des âmes résignées à prendre un travail alimentaire « en attendant ». En attendant quoi ? Le désarroi est grand et n’a pas toujours à voir avec le talent.
Parlons-en du talent justement. Si notre univers numérique est formateur et révélateur de talents, c’est aussi un immense miroir aux alouettes pour la masse qui se croit élue, ceux qui sont persuadés d’être faits de l’étoffe dont on fait les Spielberg ou les Gondry et qui au final n’a aucun talent. Ca se voit dans les émissions de télé réalité style Nouvelle Star, combien de doux allumés persuadés de savoir pousser la chansonnette se font rabrouer par un jury impitoyable pour notre plus grand plaisir sadique ? Hein ? Dans le ciné, c’est tout pareil, notamment dans le court amateur. Puisque c’est facile de faire un court métrage aujourd’hui, ça veut dire que tout le monde peut en faire, mais ça ne veut pas dire que tout le monde DEVRAIT en faire et surtout le montrer au monde entier. Et impressionner tata Suzon et ses potes de quartier avec son dernier thriller pompé sur Saw ou bien délirer avec les sabres laser de Star Wars, c’est cool, y’a rien de mal à ça et finalement c’est plutôt sympa et cool à faire. A l’intérieur du cercle de l’intime, la critique est différente et certains laissent les éloges leur monter à la tête, s’imaginent déjà en haut de l’affiche (notre pote Aznavour, il avait déjà tout compris).
C’est pour cela que je vais vous conter une anecdote. Le forum de ciné de Filmdeculte sur lequel je sévis a un héritage : le forum Première : les vétérans viennent de là. Du magazine Première avant qu’ils ne le ferment définitivement et en ouvre un autre à place, aux dernières nouvelles pas bien passionnant. Et sur ce forum, il y avait un jeune réalisateur qu’on appellera Lederman… merde, c’est son vrai nom… bon appelons-le Extraman. Bref, c’était un réalisateur, un jeune fou aux yeux rendus brillants par l’appel de la forêt.
Et régulièrement notre ami nous montrait ses « croûtes » (l’expression est de lui) et c’était sans appel. A chaque fois. C’était vraiment des croûtes. Mais vraiment quoi, des daubes infâmes. Le hic, c’était que si l’un d’entre nous (et nous ne manquions pas de le faire) avait l’outrecuidance de lui confirmer que c’était effectivement bien des croûtes, l’homme se fermait à la critique, au dialogue, à la discussion critique, nous reprochant de ne pas être capable de juger proprement ses films, qu’il en faisait des bien plus professionnels mais qu’il ne voulait pas les montrer sur le net. Et puis de toute façon, il était pote avec Cronenberg et Howard Shore, même qu’ils se marraient à ses blagues et qu’il avait la vidéo pour le prouver (si je résume et je condense les aventures de Extraman, je n’invente jamais rien). Et qu’on était jaloux de son succès et que bientôt on dormirait dans la rue, éclairés par la lumière blafarde émises par les affiches de ses films. On attend toujours. Et au fur et à mesure on a compris (de son propre aveu, ce n’est pas une interprétation de ma part) que l’homme était prisonnier de son propre rêve, de son ambition mais que son talent ne paraissait pas à la hauteur. Que sa famille, ses amis pour qui l’univers du cinéma devait ressembler à un monde de paillettes et de stars, ont passés des années à s’extasier devant ses films, sa culture ciné. Seulement lorsqu’on élargit le cercle, on augmente les chances de rencontrer des gens ayant tout autant voire plus de talent. Et ainsi relativiser ses propres capacités.
Ainsi devant l’évidence, notre ami Extraman a maladroitement développé une carapace censée le protéger de tout ce qui pourrait détruire son rêve. Comme une réaction à l’évidence, une riposte agressive envers toute critique et nous bien évidemment de le provoquer (sans jamais exagérer les défauts de ses films, en tout cas pas de ma part) dans sa réaction puérile de petit enfant blessé. Parceque c’était pathétique, mais c’était drôle. Il fallait le voir trépigner de messages en messages, dans une défense pitoyable. A hero fails, dies trying. Un peu comme quand on se moque d’un mec à la voix de casserole qui massacre une chanson de variété bien bateau. Mais dans le fond, ça reste dommage, ces gens persuadés d’avoir du talent.
Et moi. J’en ai du talent ?
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